Déconstruire les mythes sur les politiques de rigueur budgétaire en Amérique latine

Date de publication : 
Lundi, 3 février 2020

En décembre 2019, le Center for Economic and Social Rights (CESR) a publié un rapport intitulé « Déconstruire les dogmes sur l’austérité et l’injustice fiscale en Amérique latine », dans lequel il réfute 10 idées fausses très répandues sur la nécessité de politiques de consolidation budgétaire. Cette note plaide pour l’adoption de réformes fiscales structurelles progressistes de nature redistributive permettant, sur le long terme, de réduire les inégalités, de garantir les droits humains et de promouvoir le développement durable. 

 

Le rapport reconnaît que des réformes budgétaires sont indispensables de toute urgence en Amérique latine pour résoudre des défis urgents, notamment répondre au changement climatique, et réduire ses conséquences ; éradiquer la pauvreté et mettre en œuvre une protection sociale universelle ; garantir les services sociaux en tant que droits et réaliser les Objectifs du développement durable. 

 

Depuis 2018, l’Amérique latine connaît une vague de protestation sociale à l’encontre des mesures d’austérité, des politiques budgétaires régressives et des inégalités sociales continues. Par exemple, le Chili a fait face à des manifestations violentes et ce malgré sa croissance économique et la diminution des taux de pauvreté. Cependant, les inégalités persistent au Chili ; selon la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes, 1 % de la population du Chili détient 26,5 % de sa richesse. 

 

Dans ce rapport, il est relevé que, ces dernières années, les bailleurs de fonds internationaux et régionaux ont commencé à s’accorder avec la société civile sur le besoin d’avancer vers des politiques budgétaires progressives en vertu desquelles ceux qui ont le plus de ressources contribuent davantage, atténuant ainsi la charge inéquitable pesant sur les segments de la société à revenu faible et intermédiaire. Cependant, la résistance à cette proposition se poursuit, selon CESR, s’appuyant sur des mythes qui servent les intérêts des riches et des entreprises et alimentent l’asymétrie de pouvoir à l’égard des mouvements sociaux et de l’intérêt public de manière générale. 

 

Les dix mythes déconstruits dans ce rapport sont les suivants :  

  1. « La politique budgétaire est une question fondamentalement technique, qui n’a pas grand-chose à voir avec les droits » et qui devrait être décidée exclusivement au sein des institutions spécialisées ou des espaces politiques traditionnels, à l’exclusion des autres voix. 

  2. « Il n’y a simplement pas assez d’argent pour tous ces droits ». Le rapport ne nie pas les difficultés imposées par des ressources publiques limitées concernant l’allocation de budgets visant à couvrir les besoins sociaux. Cependant, il souligne le fait qu’un tel argument est utilisé pour maintenir un statu quo des restrictions budgétaires. Les États sont obligés de mobiliser des ressources pour respecter leurs obligations en matière de droits humains. Ces obligations ne sont pas abstraites ou irréalisables. Les États ont le pouvoir de mobiliser des ressources supplémentaires et de les distribuer de manière plus juste afin de se conformer à ces obligations. 

  3. « La croissance économique suffit et ceci devrait être notre priorité » : ce mythe part du principe que la croissance économique finira par entraîner la réduction de la pauvreté et des améliorations en matière de services sociaux. Cependant, comme indiqué dans le rapport, les économistes et les experts des droits humains ont affirmé qu’il ne peut y avoir de réduction de la pauvreté en l’absence d’un cadre large de politiques de redistribution incluant la gestion budgétaire. Selon le rapport, dans les pays d’Amérique latine, le revenu par habitant est supérieur au seuil de pauvreté, ce qui suggère que les politiques de redistribution constituent une étape essentielle en vue de l’éradication de la pauvreté. 

  4. « L’ampleur de l’État et les coûts liés à son maintien sont hors de contrôle » : Le rapport démontre comment la dépense publique constitue un élément nécessaire permettant de garantir les droits humains et de réduire les inégalités.

  5. « Le déficit est le vrai problème et la prudence budgétaire exige que nous l’éliminions » : Selon le rapport, l’obsession à l’égard du déficit budgétaire peut s’avérer contre-productive pour le développement économique et le bien-être général. Le rapport affirme que « les États ont besoin d’avoir la flexibilité de se trouver en situation de déficit, par exemple, pour réactiver l’économie ou la stimuler via des investissements stratégiques lorsque les conditions économiques le permettent ». « Les dépenses sociales et les investissements sont généralement les premiers à être supprimés, dans la mesure où ceux qui sont susceptibles d’en subir l’impact manquent de pouvoir d’influence sur les décideurs en position de protéger leurs intérêts ». 

  6. « En période difficile, l’austérité budgétaire est la seule solution » : Le rapport indique qu’il existe des alternatives qui peuvent avoir un impact moindre sur les droits humains. En général, les plans d’austérité comportent des coupes sévères en matière de dépenses sociales, qui peuvent engendrer des violations des droits économiques, sociaux et culturels. 

  7. « Les sacrifices à court terme imposés par les mesures d’austérité produiront des bénéfices sur le long terme » : Le rapport indique que cette affirmation s’est révélée erronée, dans la mesure où les bénéfices supposés des mesures d’austérité sur le long terme n’ont guère été ressentis et ce sont essentiellement les personnes les moins privilégiées qui doivent en subir la charge. De plus, de faibles investissements en matière de droits sociaux perpétuent la pauvreté ainsi que d’autres violations économiques et sociales. Ces frustrations sur le long terme sont associées aux instabilités et conflits sociaux de grande ampleur.

  8. « Le régime fiscal doit être compétitif, donc il faut baisser les impôts sur les entreprises et les riches » : Le rapport démontre comment la baisse des impôts et la création de paradis fiscaux ont, en pratique, une influence négative sur les pays en voie de développement et réduisent considérablement les ressources étatiques et par conséquent leur capacité à respecter leurs obligations en matière de droits humains.

  9. « L’égalité ne peut pas être réalisée via le système fiscal » : Faisant référence à la Banque interaméricaine de développement, le rapport démontre que les impôts ne sont pas uniquement une source de revenu pour les États. Ils constituent également un instrument puissant contribuant à la redistribution des richesses et au progrès vers une société en cours de développement plus égalitaire.

  10. « Il suffit de combattre la corruption et les réformes fiscales structurelles ne sont pas nécessaires » : Le rapport souligne que la lutte contre la corruption, bien qu’importante, ne rend pas les réformes fiscales inutiles. Le discours tendant à se concentrer uniquement sur la lutte contre la corruption ignore l’ampleur des ressources perdues en raison des privilèges et paradis fiscaux. Toute politique budgétaire devrait appliquer une approche globale et durable avec l’objectif précis de réduire les inégalités.

 

La politique budgétaire est un ensemble d’instruments régissant les relations entre l’État et ses citoyens en matière de ressources publiques. Le rapport établit que la politique budgétaire est un enjeu lié aux droits humains. En omettant d’appliquer un cadre de protection des droits humains à la politique budgétaire, nous refusons à différents segments de notre société l’accès aux services de base nécessaires.

 

Veuillez cliquer ici pour obtenir plus d’informations et lire le rapport (disponible en espagnol et anglais).