Summary
La Cour constitutionnelle de Colombie (la Cour) a exercé ses pouvoirs de contrôle judiciaire pour évaluer la situation des personnes déplacées en Colombie. Environ 1 150 groupes familiaux ont formulé des demandes de tutelle ou de protection auprès de leurs municipalités respectives, revendiquant le droit à la protection de l’État en raison de leur statut de personnes déplacées. Ces individus ont sollicité une assistance, mais l’État a soit refusé de la fournir, soit l’a accordée de manière partielle en invoquant des contraintes budgétaires.
La Cour a décrit son processus en sept étapes : (1) synthétiser la doctrine des droits des personnes déplacées ; (2) évaluer la réponse de l’État face au phénomène du déplacement interne ; (3) analyser l’insuffisance des ressources et son impact sur la mise en œuvre de la politique publique ; (4) vérifier si les actions ou omissions de l’État constituent une situation inconstitutionnelle ; (5) définir les devoirs constitutionnels des autorités concernant les obligations en matière de droits humains ; (6) déterminer les niveaux minimaux de protection qui doivent être assurés à la population déplacée ; et (7) émettre des ordres concernant les actions à entreprendre par les différentes autorités pour garantir les droits de la population déplacée.
Tout d’abord, la Cour a examiné les droits des personnes déplacées, tels qu’énoncés dans la Loi 387 de 1997, qui « établit un niveau de protection global pour les personnes déplacées à l’intérieur du pays et exige que les ressources nécessaires soient garanties pour la réalisation de cette assistance globale ». En citant cette loi, la Cour a rejeté le décret 2569 de l’État, qui fixait un niveau maximum fixe de ressources, en faisant valoir que la loi exige que les ressources soient “globales” dans leur couverture. De plus, la Cour a rejeté l’argument selon lequel les lois budgétaires pouvaient modifier le champ d’application de la Loi 387 :
D’un point de vue constitutionnel, il est impératif d’allouer le budget nécessaire pour garantir la pleine réalisation des droits fondamentaux des personnes déplacées. L’obligation constitutionnelle de l’État de fournir une protection adéquate aux individus vivant dans des conditions indignes en raison d’un déplacement forcé ne peut être continuellement différée. La jurisprudence de cette Cour a constamment souligné la priorité qui doit être accordée à l’attribution de ressources pour aider cette population, contribuant ainsi à résoudre la crise sociale et humanitaire résultant de ce phénomène.
Ensuite, la Cour a examiné la situation des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays dans le contexte des actions entreprises par l’État pour améliorer leur sort. En 2004, la Cour a constaté que 92 % des personnes déplacées avaient des besoins fondamentaux non satisfaits, que 80 % d’entre elles vivaient dans la pauvreté, que 63,5 % résidaient dans des logements précaires et que 49 % n’avaient pas accès à des services publics appropriés. En ce qui concerne l’éducation, 25 % des enfants déplacés âgés de 6 à 9 ans ne fréquentaient pas l’école, tandis que plus de la moitié (54 %) des jeunes déplacés âgés de 10 à 25 ans étaient privés d’éducation. Sur le plan de la santé, les personnes déplacées présentaient un taux de mortalité six fois plus élevé que la moyenne nationale. La Cour a estimé que l’État ne disposait pas des crédits budgétaires nécessaires pour atténuer cette crise. De plus, la Cour a relevé que l’État n’avait pas correctement informé les personnes déplacées des différentes voies de recours légales à leur disposition. Par conséquent, ces personnes n’étaient pas parties prenantes dans la procédure de tutela (procédure de protection), ignoraient son existence, manquaient d’informations sur leurs droits et ne savaient pas quelles autorités étaient compétentes.
En troisième lieu, la Cour a observé que l’insuffisance des ressources a eu un impact grave sur la mise en œuvre de la politique publique. Par exemple, bien que des recommandations aient été faites pour allouer 45 milliards de pesos en 2001 et 161 milliards de pesos en 2002 pour la gestion de la situation des personnes déplacées, les ressources effectivement consacrées à cette fin se sont élevées à seulement 126,582 millions de pesos, un montant bien en deçà de ce qui était requis selon la Cour. Cette insuffisance de financement s’est aggravée en 2003, avec une diminution de 32 % des fonds alloués par rapport à l’année précédente.
Quatrièmement, la Cour a clairement constaté que l’absence de financement adéquat de la part de l’État pour faire progresser et protéger les droits des personnes déplacées créait une situation inconstitutionnelle. Pour ce faire, la Cour s’est basée sur cinq facteurs : (1) la gravité de la violation des droits constitutionnels ; (2) le grand nombre de demandes de tutela déposées par les personnes déplacées ; (3) l’accumulation de preuves issues des procédures de tutela, confirmant que la violation des droits affecte une grande partie de la population déplacée, ainsi que l’incapacité des autorités étatiques à mettre en place les solutions nécessaires ; (4) la violation continue qui ne peut être attribuée à une seule entité étatique ; et (5) la violation continue des droits des personnes déplacées est due à des facteurs structurels. La Cour a souligné qu’elle n’avait constaté une situation inconstitutionnelle que sept fois auparavant, lorsque les violations étaient également structurelles, continues et touchaient de vastes segments de la population. Dans un raisonnement similaire, étant donné que les actions de tutela étaient devenues une condition préalable à toute forme d’aide gouvernementale aux personnes déplacées, que les violations étaient continues et que de nombreuses entités contribuaient aux violations en cours, cette affaire méritait également le statut d’ « état de fait inconstitutionnel ».
Cinquièmement, la Cour a mis en lumière les obligations constitutionnelles des autorités de l’État en ce qui concerne les engagements internationaux en matière de droits humains. La Cour a rappelé que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) impose aux États l’obligation de concevoir et de mettre en œuvre des politiques publiques favorables à la réalisation progressive des droits énoncés dans le Pacte. Elle a souligné que l’inaction n’est pas tolérée et que les États doivent recourir à « tous les moyens appropriés », comprenant non seulement des mesures juridiques, mais aussi administratives, financières, éducatives et sociales. De plus, ces mesures doivent viser à promouvoir l’exercice des droits en faisant « plein usage du maximum de ressources disponibles ».
En sixième lieu, la Cour a jugé que les autorités de l’État étaient tenues de réaliser un équilibre et de définir des domaines prioritaires où une assistance rapide et efficace devait être apportée aux personnes déplacées. Tout en reconnaissant les défis liés à la coordination de l’aide d’urgence entre les différentes régions touchées et les contraintes dues aux ressources limitées de l’État, la Cour a identifié des obligations positives qui devaient toujours être respectées par l’État à l’égard des personnes déplacées. L’État est tenu de garantir les droits fondamentaux d’une personne déplacée, notamment : (1) Le droit à la vie ; (2) La dignité et l’intégrité physique, psychologique et morale ; (3) Le respect de la vie familiale et de l’unité familiale ; (4) La satisfaction des besoins de base et le droit à un revenu minimum vital, assurant un accès sûr à l’alimentation, à l’eau, à un abri et à un logement de base, à des vêtements appropriés, à des services médicaux essentiels et à des installations sanitaires – cela inclut une assistance humanitaire d’urgence et un soutien spécifique aux personnes incapables de subvenir à leurs besoins de manière autonome, comme les enfants, les personnes âgées et les femmes responsables de soins ; (5) Le droit à la santé ; (6) La protection contre les pratiques discriminatoires liées au statut de personne déplacée ; et (7) Le droit à l’éducation jusqu’à l’âge de quinze ans. La Cour a également jugé que l’État avait l’obligation positive de soutenir la réintégration et la stabilisation socio-économique d’une personne, en identifiant et en répondant aux besoins spécifiques de chaque personne ou famille déplacée, et en intégrant des solutions à leur situation dans les plans de développement nationaux ou régionaux. Ces obligations ne peuvent être retardées de manière injustifiée. Enfin, l’État doit s’abstenir de mettre en œuvre ou de promouvoir des politiques régressives.
Notant que les mesures prises par les autorités de l’État pour garantir les droits de la population déplacée ainsi que les ressources actuellement allouées pour assurer ces droits ne sont pas conformes à la Constitution, la Cour a confié au Conseil national pour l’assistance intégrale à la population déplacée par la violence (le Conseil) – l’organe chargé de formuler la politique et de garantir le budget pour la population déplacée – la responsabilité de concevoir et de mettre en œuvre un plan d’action visant à remédier au manque de ressources et aux lacunes de capacité institutionnelle. Le Conseil avait deux mois pour déterminer l’ampleur de l’effort budgétaire requis, ainsi que pour préciser comment l’État, les entités territoriales et la coopération internationale contribueraient à cet effort. Si, dans le processus d’évaluation de l’effort budgétaire nécessaire et des mécanismes de mobilisation de ces ressources, le Conseil concluait qu’il était impossible de respecter les engagements définis dans la politique de l’État, il pouvait réviser l’engagement de l’État. Cette révision devait être rendue publique, offrir des opportunités suffisantes de participation aux personnes déplacées ou à leurs représentants, et être justifiée par des raisons spécifiques. Si la révision entraînait une réduction des droits des personnes déplacées, les décisions ne pouvaient pas être discriminatoires et devaient être temporaires, conditionnelles à une progression future des droits des personnes déplacées.
Concernant les actions de tutela individuelles engagées par les plaignants en raison du non-respect des demandes d’assistance formulées par les personnes déplacées, la Cour a ordonné aux organismes administratifs compétents de traiter immédiatement ces demandes d’aide, à condition que les plaignants remplissent les critères de la définition d’une personne déplacée conformément à l’article I de la loi n° 387 de 1997.